Enjeux écologiques et inégalités sociales
Les collectifs scientifiques alertent depuis longtemps sur les effets de l’activité humaine sur la planète, ils soulignent régulièrement l’accélération et l’augmentation de ces effets par leur intensité, leur caractère irrémédiable et néfaste pour les écosystèmes. Les alertes sont nombreuses, on peut citer les réguliers rapports du GIEC , elles renseignent de façon approfondie les différentes dimensions du changement climatique et ses conséquences : la fonte des sols en théorie perpétuellement gelés, catastrophes climatiques plus nombreuses, réchauffement climatique bien au-dessus des engagements pris par les coalitions internationales à la disparition d’espèces animales, etc.
Outre les prévisions catastrophiques pour la planète, ces changements climatiques génèrent des effets délétères sur les populations et aggravent les inégalités entre les humains. À l’échelle internationale, les changements climatiques sont d’abord le fait des pays aisés qui concentrent des modes de vie ayant un fort impact environnemental. Paradoxalement, ce sont d’abord les pays pauvres qui en pâtissent, davantage confrontés aux changements climatiques tels que l’augmentation et l’aggravation des catastrophes naturelles (sécheresses, inondations, tempêtes, etc.). Ces changements, non seulement aggravent les conditions de vie, mais génèrent des tensions, des conflits voire des guerres qui forcent les populations les plus en danger, mais ayant néanmoins les ressources pour le faire, à se déplacer à l’intérieur, voire à l’extérieur de leur pays, initiant des parcours migratoires qui prolongeront les violences et les discriminations subies.
Par ailleurs, des inégalités fortes s’observent également à l’intérieur même des pays. Dans les plus favorisés, ceux dont l’activité économique est très soutenue, les effets des changements climatiques et les réponses visées sont fortement inégalitaires. L’économiste Lucas Chancel souligne par exemple qu’en France, le 1% des plus riches ont une empreinte carbone huit fois supérieure à la moitié la plus pauvre de la population française (de l’ordre de 50 tonnes de CO2 par an et par personne) . Ayant une activité de bien moindre impact, les populations les plus pauvres sont pourtant les premières touchées par les mesures de réduction de l’empreinte carbone. L’augmentation des taxes et des prix, notamment sur l’énergie (le chauffage, l’essence), pèse davantage sur les populations déjà précarisées, et réduit leur qualité de vie (accès à une alimentation de qualité plus difficile, précarisation du logement, etc.). Outre les dimensions socio-économiques, les rapports ethno-raciaux sont également vecteurs d’inégalités environnementales dans différents territoires, des espaces périurbains aux terres agricoles des Outre-mer .
Pour autant, ces inégalités sont rarement visibles, et les solutions évoquées demandent plus fréquemment une contribution de chacun à l’effort de rigueur, indifférente donc aux différences de ressources (au-delà des différences d’empreinte). Jean-Baptiste Comby et Hadrien Malier identifient ainsi une double peine écologique pour les milieux populaires : ils polluent moins, en souffrent plus et bénéficient moins des profits symboliques de la valorisation de l’engagement environnemental visible . Cette double peine est d’autant plus alourdie qu’on leur demande des efforts plus importants et qu’ils sont principalement visés par les injonctions à la sobriété . L’individualisation des solutions apportées, à l’instar des « petits gestes », contribue à dépolitiser les enjeux en masquant le rôle du collectif dans les stratégies de réponse . Politiquement, des mouvements peuvent tenter la jonction entre des batailles sociales et écologiques, notamment par le développement de l’écologie populaire, mais ces mouvements restent encore peu enquêtés et documentés , ne rendant pas compte du foisonnement politique et des débats actuels .
Comment la visée de réduction de l’impact environnemental peut-elle éviter la reproduction des inégalités sociales, mais surtout, ne pas la renforcer ? Comment peut-elle viser en même temps un progrès social qui ne fait pas porter sur les plus pauvres le poids et la responsabilité de l’anthropocène ? Il s’agit là de questions vives pour les acteurs et actrices du champ de l’intervention sociale pour qui il est essentiel de redéfinir les problèmes tels qu’ils sont posés et de penser les interventions pour ou avec les populations. Les enjeux sont nombreux à l'échelle locale, pour les acteurs qui travaillent avec les publics, celles et ceux qui élaborent les politiques locales, les habitant.es, les collectifs associatifs engagés sur des sujets qui vont des habitats énergivores aux questions alimentaires, en passant par les mobilités.
Par ailleurs, s’il s’agit de viser des transformations, comment la participation est-elle pensée ? S’agit-il de promouvoir le pouvoir d’agir des individus, ou de les enjoindre à participer à réduire l’impact écologique dont ils participent au final relativement peu ? Comment l’intervention sociale peut-elle contribuer à la transition écologique, en veillant en même temps à ce que les modèles et solutions socialement situées des milieux favorisés ne s’imposent pas comme des évidences, sourdes aux enjeux de justice sociale ?
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